Changer d'assurance emprunteur permet de réaliser des économies importantes sur le coût d'un crédit immobilier. Trois ans après l'entrée en vigueur de la loi Lemoine, la pratique se démocratise, mais les obstacles persistent. Enquêtes sectorielles, sanctions administratives et prises de position d'experts mettent en lumière un marché encore largement contrôlé par les banques.
Une réforme qui ouvre le marché... sur le papier
Depuis 2022, la loi Lemoine permet aux emprunteurs de résilier leur assurance à tout moment, sans frais ni pénalité, sous réserve d'une équivalence de garanties. La banque est tenue de répondre dans un délai de dix jours ouvrés et de formaliser sa décision via un avenant au contrat de prêt.
"Sur le papier, la loi Lemoine est une vraie avancée, elle fait bouger les lignes", souligne Éric Maumy, président d'April et cofondateur de l'Association pour la promotion de la concurrence en assurance des emprunteurs (Apcade). Les données recueillies par l'association confirment une montée en puissance de la substitution : près de 60 % des emprunteurs ayant changé d'assurance appartiennent désormais aux catégories des professions intermédiaires ou des employés.
Les gains de pouvoir d'achat sont significatifs. Selon l'Observatoire de l'assurance emprunteur de l'Apcade, 92 % des emprunteurs ayant changé de contrat déclarent avoir économisé de l'argent. Quarante-trois pour cent ont réduit le coût total de leur assurance de plus de 5 000 euros, et 15 % de plus de 10 000 euros sur la durée de leur prêt.
Délais excessifs, complexité administrative persistante et stratégie d'usure
Malgré ces avancées, les démarches restent souvent longues et fastidieuses. L'étude APCADE / Forsides, menée auprès de plus de 1 000 emprunteurs, révèle que dans plus d'un tiers des cas, le délai de réponse de la banque dépasse le cadre légal de dix jours. Dans un dossier sur cinq, il excède vingt jours et peut atteindre jusqu'à deux mois.
Les obstacles administratifs demeurent fréquents. Quarante et un pour cent des emprunteurs ayant changé d'assurance de prêt immobilier déclarent avoir dû multiplier les échanges avec leur banque avant d'obtenir un accord. Ces pratiques, loin d'être marginales, finissent par décourager une partie des assurés et limitent l'effectivité du droit à la concurrence.
"Les pratiques dénoncées et vécues par les Français ne sont pas marginales. Ces entraves répétées vident la loi de sa substance", dénonce l'Apcade. Le contrôle de l'information joue un rôle central : documents incomplets, formalisme excessif, justificatifs supplémentaires ou délais de traitement prolongés ralentissent les substitutions sans enfreindre explicitement la loi.
Selon Tristan de la Martinière, cofondateur de Giva, "ce n'est pas la loi qui bloque la concurrence, mais l'accès à la donnée". Tant que les informations nécessaires au changement restent sous contrôle bancaire, la liberté de choix demeure partiellement théorique.
Sanctions, profits et débat sur l'avenant bancaire
Face à ces pratiques, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a prononcé en octobre des sanctions contre quatre établissements bancaires pour non-respect des délais légaux. Le montant total des amendes atteint près de 700 000 euros, confirmant le caractère structurel des manquements observés.
"Les sanctions que vient de prononcer la DGCCRF témoignent de la gravité et de l'ampleur des pratiques dilatoires observées dans de nombreux établissements bancaires", estime Éric Maumy. L'enjeu financier est majeur : selon l'UFC-Que Choisir, les banques réalisent plus de 5 milliards d'euros de profits annuels sur l'assurance emprunteur, avec des marges avoisinant 70 %.
Au centre des débats figure désormais l'avenant bancaire. Pour l'Apcade, ce document constitue un levier utilisé pour retarder les changements d'assurance. L'association plaide pour sa suppression afin de fluidifier les substitutions. La Fédération bancaire française s'y oppose, estimant que l'avenant garantit la sécurité juridique du prêt et la clarté des engagements de l'emprunteur.
À plus long terme, certains acteurs appellent à une transformation structurelle du marché, inspirée de l'open banking. L'ouverture encadrée des données d'assurance permettrait une concurrence plus transparente et une meilleure information des emprunteurs. "Tant que l'information reste captive, la liberté du consommateur reste une promesse inachevée", conclut Tristan de la Martinière.
La rédaction d'Assurland