Un amendement voté à l'Assemblée nationale pourrait transformer en profondeur la politique du médicament. Les députés ont décidé d'imposer la publication du prix réel des médicaments remboursés par la Sécurité sociale, jusque-là confidentiel. Une mesure adoptée contre l'avis du gouvernement, qui promet une transparence inédite, mais soulève de vives inquiétudes au sein de l'industrie pharmaceutique.
Une transparence votée contre l'avis du gouvernement
Vendredi 7 novembre, les députés ont approuvé un amendement à l'article 11 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). Le texte prévoit que l'Agence centrale des organismes de Sécurité sociale rende publics les remises, prix nets et coûts réels des médicaments remboursés, pour chaque laboratoire.
Jusqu'à présent, ces informations restaient secrètes. Elles représentent pourtant des sommes colossales : 9 milliards d'euros de remises en 2024, sur un marché total estimé à 36 milliards d'euros.
Pour Hendrik Davi, député écologiste à l'origine de la mesure, “notre amendement vise à lever le voile sur ces remises et à connaître le prix réel des médicaments et des dispositifs médicaux”. L'objectif, explique-t-il, est clair : rendre des comptes aux citoyens sur une dépense publique financée par la solidarité nationale.
Mais le gouvernement s'y oppose. La ministre de la Santé Stéphanie Rist rappelle que ces données “relèvent du secret des affaires” et redoute qu'en les rendant publiques, les laboratoires cessent d'accorder des remises, entraînant une hausse des prix.
Comment sont fixés les prix des médicaments ?
En France, le prix des médicaments dépend de leur statut :
- s'ils ne sont pas remboursés, leur prix est librement fixé par le laboratoire ;
- s'ils sont remboursés par la Sécurité sociale, leur tarif est négocié entre le laboratoire et le Comité économique des produits de santé (CEPS).
Plusieurs critères entrent en jeu : le service médical rendu, le volume de ventes estimé et la valeur ajoutée thérapeutique. Une fois le prix arrêté, il est publié au Journal officiel. Cependant, ce tarif ne tient pas compte des remises confidentielles accordées à l'État, qui réduisent le coût réel pour l'Assurance maladie.
Selon Thomas Rapp, économiste à l'Université Paris Cité, “ces remises constituent le principal outil de négociation à disposition de l'administration. Elles nous permettent aujourd'hui d'obtenir des prix plus bas”. En rendant ces montants publics, la France risquerait de perdre un levier stratégique face aux géants du secteur.
Une réforme aux effets incertains sur le marché mondial
L'initiative française intervient dans un contexte international tendu. Les laboratoires redoutent que cette transparence ne perturbe l'équilibre mondial des prix, surtout depuis l'entrée en vigueur aux États-Unis de la clause de la nation la plus favorisée. Cette mesure interdit à Washington de payer un médicament plus cher que dans d'autres pays développés.
En publiant ses prix réels, la France risquerait donc de tirer les prix américains vers le bas, poussant les laboratoires à relever leurs tarifs en Europe. “Ces derniers pourraient choisir de lancer leurs nouveaux médicaments en France en dernier, une fois que les prix auront été négociés ailleurs”, prévient Thomas Rapp.
Le Leem, le syndicat des entreprises du médicament, partage la même inquiétude. Selon Juliette Moisset, directrice des affaires publiques de l'organisation, rendre publiques les remises pourrait entraîner une hausse des prix des médicaments en France, retarder la mise sur le marché de nouveaux traitements ou même dissuader certains laboratoires de les commercialiser.
Pour Hendrik Davi, malgré ces craintes, la transparence reste “absolument indispensable”. Il estime que le secret profite davantage aux industriels qu'à la collectivité et qu'il est temps de rétablir un équilibre au profit des citoyens.
La rédaction d'Assurland